dimanche 25 mars 2012

Technologie vs nature: débat millénaire!

Le texte de Sarah, très pertinent, m'amène à réfléchir sur le concept de technologie et celui de son rapport avec l'être humain et la nature. Je m'inspirerai ici en partie, d'une conférence publiée aux éditions 'Les grandes conférences' chez Fides, et intitulée: Éloge de l'homo techno-logicus, d'Yves Gingras, directeur de la chaire de recherche en histoire et technologie des sciences à l'UQAM.
Je vais donc faire un long détour avant d'aborder le propos lancé par Sarah, mais il m'apparaît éclairant.

Le terme technologie origine d'abord du mot technique, du grec technè, qui signifie entre autres un savoir-faire relié à un métier. Il est intéressant de noter que les Romains traduiront ce mot par ars, d'où proviennent les mots français: art, artiste et artisan. Donc la technique est à l'origine un art, et renvoie au savoir-faire de l'artisan qui sait se servir habilement de ses mains en contact avec la matière.

C'est aussi une forme de savoir. Il y avait d'ailleurs chez les grecs une hiérarchie des techniques. Le maçon était ainsi moins considéré que le médecin, le savoir de ce dernier étant considéré comme plus important. Vieille opposition qui a encore cours de nos jours. Deux mots qui viennent de là, soit artefact et artificiel, tous deux à connotation péjorative dans cette tradition, marquent dès le début la rivalité entre ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas.


Technologie vient aussi du terme logos qui signifie raison, discours, langage et par extension, théorie, au sens de rendre raison. Donc le terme technologie, imprégné de ces deux sens, veut dire une réflexion sur la technique, une théorie des techniques. La première théorie connue de ces techniques, datant de plus de 2000 ans, concernait la première théorie des machines simples et on y trouvait un véritable éloge des techniques dont l'extrait suivant: la nature agit toujours de la même manière et sans détour alors que l'intérêt des hommes changent souvent d'où l'utilité de la technè qui aide à produire des effets contre-nature pour satisfaire ces changements d'humeur ou d'intérêts. Cette branche du savoir s'appelle la mechanè terme grec qui signifie ruse. La technique est donc ici une ruse pour tromper la nature et l'amener à satisfaire les besoins de l'homme en la détournant de son cours.

Ainsi, l'opposition entre la nature et la technique à cette époque, et vis à vis la technologie aujourd'hui remonte loin dans le temps. Dans la Grèce antique, la nature avait une supériorité ontologique et morale sur la technique. Mais la technique avait ses promoteurs, eux qui voulaient se départir de la domination de la nature et devenir vainqueur à son égard. Ce courant longtemps marginal revint en force au XVIe et XVIIe siècles et sera le fondement de la science moderne. D'ailleurs le caractère négatif et artificiel de la technique retardera pendant longtemps l'invention et l'adoption positive de plusieurs instruments; plusieurs inventeurs ont ainsi dû cacher, retarder ou attendre un contexte favorable pour présenter le fruit de leur génie; on n'a qu'à penser à l'emprisonnement de Léonard de Vinci par exemple.

La science moderne a donc commencé avec l'idée de s'affranchir de la nature, de la dominer, de la manipuler. Francis Bacon, en fut le premier grand théoricien et il fut aussi parmi les premiers à vouloir sortir de cette opposition entre nature et technique. Comme les alchimistes au moyen-âge, il considérait que les choses artificielles ne différaient pas des choses naturelles par leur forme ou par leur essence mais seulement par leur cause efficiente. D'ailleurs pendant longtemps la technique a simplement voulu imiter la nature et par cela fut considéré inférieure car jamais aussi parfaite qu'elle.

Bacon amène l'idée qu'il faut sortir de cette ornière et inventer, créer, même si on part d'idées présentes en nature. Ainsi, tant qu'on a voulu imiter l'oiseau pour réussir à voler, on s'est cassé la gueule; ce n'est qu'en étudiant et décodant des principes physiques qu'on a réussi à inventer un objet aux ailes fixes qui vole de façon magique en apparence.

On arrive ainsi à la vision mécanisme du monde qui est encore si présente aujourd'hui. La première contestation de cette vision, de ce paradigme, est venue des romantiques qui déploraient ce divorce entre l'homme et la nature et dont Goethe était l'un des apôtres. 

Aujourd'hui on a généralement abandonné le terme technique au profit de technologie pour désigner tous les objets fabriqués.  Les technologies modernes ne sont donc plus le seul fait du travail à la main en contact avec la matière, comme l'étaient les métiers anciens, mais présupposent une connaissance théorique des principes qui rendent possible la création d'objets artificiels. Plus on avance dans le temps, plus la part de logos dans les objets fabriqués est importante. Ainsi la fabrication d'outils de silex ne requérait qu'une modification mineure de la matière naturelle alors que les outils modernes sont davantage le fruit de l'imagination scientifique qui manipule une matière qui n'a rien de naturel. On peut même parler de spiritualisation de la matière au sens où l'esprit humain y joue un rôle de plus en plus important. Et aujourd'hui, à fortiori avec tous les instruments qui nous permettent d'aller bien au-delà du monde perceptible,  dans un monde invisible pour nos sens, puis carrément dans un autre monde, dans un monde virtuel...

À l'ère numérique on en est donc à augmenter de plus en plus la dématérialisation des objets. L'écriture via l'ordinateur en est un bel exemple, car ce que j'écris actuellement à mon ordinateur serait complètement invisible sans l'intermédiaire d'un logiciel sophistiqué. L'homo sapiens est ainsi devenu au fil du temps un homo techno-logicus. Et aujourd'hui par le génie génétique il devient sur le point de se transformer lui-même.  Avec cela viennent toutes les questions éthiques fondamentales. 

Toutefois, malgré notre génie, contre-nature dès le départ, diabolique diraient certains, rien de tout ce que nous avons inventé n'assure notre survie; nous avons même inventé des armes capable d'exterminer notre espèce en peu de temps. En plus, pour satisfaire des besoins éphémères et artificielles de plus en plus souvent et pour un nombre croissant de gens, nous empruntons sur le capital des ressources de la nature de sorte que nous risquons l'extinction à terme, même sans guerre nucléaire. Ironiquement, pour créer un instrument aussi dématérialisé qu'un IPOD nous devons pour chaque spécimen, extraire 33 lbs de divers minéraux. Ainsi, nos objets super dématérialisés dans leur fonction, restent finalement très dépendants de la matière naturelle transformée de laquelle ils proviennent et dont nous abusons.

Notre civilisation et peut-être notre espèce, en disparaissant, redonnerait involontairement,au bout de quelques siècles, toute la place à la nature qui reprendrait sa domination après un épisode, qui, à l'échelle des temps géologiques pourrait simplement s'avérer  anachronique ou momentané. Quelle revanche!

À la question de Sarah, à savoir s'il n'est pas futile et suicidaire de miser s'en sortir par la technologie, on peut donc répondre oui, si l'on mise strictement sur la technologie sans balise. Par contre, si l'on mise sur l'être humain et sa capacité à contrôler ses excès et son génie par une éthique et une philosophie plus écologique, plus systémique, plus holistique et plus solidaire, il y a lieu là de trouver SENS à nos actions et à nos engagements, même s'il n'y a pas de garanti de réussite. Et là, la technologie serait un outil parmi d'autres...

Caroll McDuff

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